La route de la faim

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 LA ROUTE DE LA FAIM
Ben Okri


 
RÉSUMÉ

Au Nigeria naît Azaro, un enfant-esprit. Ces enfants viennent au monde et en repartent selon un cycle régulier qui leur permet de fuir la dureté de la vie.
 
Fils unique d'un père orgueilleux qui survit en portant des sacs de ciment et d'une mère marchande ambulante, Azaro décide de rester sur terre. 
 
Il veut affronter la tragique mais fascinante réalité du monde. Un photographe lui apprend à voir, une petite fille l'obsède, des esprits tentent de l'empêcher d'avancer... 
 
Il découvre un pays où la misère gagne sur la brousse, où les politiciens, qu'ils soient du Parti des Riches ou du Parti des Pauvres, méprisent les populations. 
 
Un univers aussi où la réalité, le rêve et la magie s'entremêlent en permanence jusque dans le bar de Madame Koto où vin de palme, esprits et sorcellerie peuvent conduire à la mort.
 
La Route de la faim décrit une Afrique inquiétante mais aussi d'une beauté merveilleuse. Pour ce premier roman exceptionnel, Ben Okri reçut le Booker Prize en 1991.


MORCEAUX CHOISIS

" L'enfant-esprit est un aventurier involontaire, projeté dans le chaos et la lumière du soleil, dans les rêves des vivants et des morts. Les choses qui ne sont pas prêtes, qui ne veulent pas naître ou advenir, les choses qui ne bénéficient pas des préparatifs nécessaires à leur éclosion, les choses qui ne sont pas résolues, celles qui sont étroitement liées à l'échec et à la peur d'exister, toutes ne cessent de revenir et de se reproduire, et toutes participent de la condition de l’enfant-esprit.

Nombreux sont ceux qui appartiennent à cette condition et qui ne le savent pas. Nombreuses sont les nations, les civilisations, les idées, les découvertes partielles, les révolutions, les amours, les formes d’art, les expériences et les événements historiques qui participent de cette condition et qui l’ignorent. Un grand nombre de gens sont ainsi. Ils ne portent pas tous les signes de leur réincarnation. Ils paraissent souvent normaux. On les tient fréquemment pour de nouveaux venus sur la terre. Ils se montrent souvent sereins face à la familiarité de l’étreinte de la mort. Ils portent tous d’étranges présents dans leurs âmes et passent une grande partie de leur temps dans leur jardin secret. Ils aspirent tous à faire un beau sacrifice de leur personne, un sacrifice difficile. Ils souhaitent tous être des artisans d’une grande transformation. Enflammés part l’étrange extase de leur foi en une volonté toujours plus forte qui dit oui au destin et à la lumière, ils désirent ardemment mourir en faisant la lumière au sein de cette vie et en y semant tout ce qui présidera à leur véritable entrée dans l’existence.

J’étais un enfant-esprit en révolte contre les esprits, désireux de vivre la vie qui règne sur la Terre et ses contradictions. Ade voulait quitter la Terre et redevenir un esprit, un esprit libre dans la captivité de la liberté. Je voulais la liberté au sein des limites, je voulais avoir à trouver ou à créer de nouvelles routes à partir de cette route qui est si affamée, cette route de notre refus d’exister. En faisant ce choix, je ne me suis pas forcément montré le plus fort. Il peut être plus facile de vivre avec les contraintes terrestres que d’être libre dans l’infini.

Et comme l’on sait que les esprits sont immortels, se peut-il que j’aie souhaité naître pour toutes ces raisons que sont les paradoxes des choses: les changements éternels, l’énigme que pose la vie lorsque l’on est vivant, le mystère de l’existence, des naissances au sein des naissances, de la mort au sein des naissances et des naissances au sein de la mort ? Était-ce par défi de donner naissance à mon véritable moi, à mon nouvel esprit, jusqu’à ce que toutes les conditions soient réunies pour qu’une nouvelle étoile inaltérable advienne à l’existence au cœur de mon propre univers ? Était-ce par défi de grandir, d’apprendre et d’aimer, par défi de maîtriser mon propre moi ? Était-ce parque je croyais possible de signer un nouveau pacte avec mon propre esprit ? Ou bien parce qu’il est probable qu’aucune injustice ne dure éternellement, aucun amour ne meurt jamais, aucune lumière ne s’éteint vraiment, aucune route n’est jamais terminée, aucune vérité, aucun état n’est jamais définitif et qu’il n’y a jamais vraiment de commencements ni de fins ? Mais il se peut aussi que, dans le pays des origines, où beaucoup d’entre nous étaient des oiseaux, toutes ces raisons n’aient eu rien à voir avec celle qui m’a poussé à vouloir vivre.

Tout est possible, d’une manière ou d’une autre. Nous sommes confrontés à de multiples énigmes que ni les vivants, ni les morts, ne peuvent élucider....




AAA



Ben Okri, né en 1959, est un poète et romancier nigérian.