LA ROUTE DE LA FAIM
Ben Okri
RÉSUMÉ
Fils unique d'un père orgueilleux qui survit en portant des sacs de
ciment et d'une mère marchande ambulante, Azaro décide de rester sur
terre.
Il veut affronter la tragique mais fascinante réalité du monde.
Un photographe lui apprend à voir, une petite fille l'obsède, des
esprits tentent de l'empêcher d'avancer...
Il découvre un pays où la
misère gagne sur la brousse, où les politiciens, qu'ils soient du Parti
des Riches ou du Parti des Pauvres, méprisent les populations.
Un
univers aussi où la réalité, le rêve et la magie s'entremêlent en
permanence jusque dans le bar de Madame Koto où vin de palme, esprits et
sorcellerie peuvent conduire à la mort.
La Route de la faim décrit une Afrique inquiétante mais aussi d'une
beauté merveilleuse. Pour ce premier roman exceptionnel, Ben Okri reçut
le Booker Prize en 1991.
MORCEAUX CHOISIS
Nombreux sont ceux qui appartiennent à cette condition et qui ne le savent pas. Nombreuses sont les nations, les civilisations, les idées, les découvertes partielles, les révolutions, les amours, les formes d’art, les expériences et les événements historiques qui participent de cette condition et qui l’ignorent. Un grand nombre de gens sont ainsi. Ils ne portent pas tous les signes de leur réincarnation. Ils paraissent souvent normaux. On les tient fréquemment pour de nouveaux venus sur la terre. Ils se montrent souvent sereins face à la familiarité de l’étreinte de la mort. Ils portent tous d’étranges présents dans leurs âmes et passent une grande partie de leur temps dans leur jardin secret. Ils aspirent tous à faire un beau sacrifice de leur personne, un sacrifice difficile. Ils souhaitent tous être des artisans d’une grande transformation. Enflammés part l’étrange extase de leur foi en une volonté toujours plus forte qui dit oui au destin et à la lumière, ils désirent ardemment mourir en faisant la lumière au sein de cette vie et en y semant tout ce qui présidera à leur véritable entrée dans l’existence. J’étais un enfant-esprit en révolte contre les esprits, désireux de vivre la vie qui règne sur la Terre et ses contradictions. Ade voulait quitter la Terre et redevenir un esprit, un esprit libre dans la captivité de la liberté. Je voulais la liberté au sein des limites, je voulais avoir à trouver ou à créer de nouvelles routes à partir de cette route qui est si affamée, cette route de notre refus d’exister. En faisant ce choix, je ne me suis pas forcément montré le plus fort. Il peut être plus facile de vivre avec les contraintes terrestres que d’être libre dans l’infini. Et comme l’on sait que les esprits sont immortels, se peut-il que j’aie souhaité naître pour toutes ces raisons que sont les paradoxes des choses: les changements éternels, l’énigme que pose la vie lorsque l’on est vivant, le mystère de l’existence, des naissances au sein des naissances, de la mort au sein des naissances et des naissances au sein de la mort ? Était-ce par défi de donner naissance à mon véritable moi, à mon nouvel esprit, jusqu’à ce que toutes les conditions soient réunies pour qu’une nouvelle étoile inaltérable advienne à l’existence au cœur de mon propre univers ? Était-ce par défi de grandir, d’apprendre et d’aimer, par défi de maîtriser mon propre moi ? Était-ce parque je croyais possible de signer un nouveau pacte avec mon propre esprit ? Ou bien parce qu’il est probable qu’aucune injustice ne dure éternellement, aucun amour ne meurt jamais, aucune lumière ne s’éteint vraiment, aucune route n’est jamais terminée, aucune vérité, aucun état n’est jamais définitif et qu’il n’y a jamais vraiment de commencements ni de fins ? Mais il se peut aussi que, dans le pays des origines, où beaucoup d’entre nous étaient des oiseaux, toutes ces raisons n’aient eu rien à voir avec celle qui m’a poussé à vouloir vivre. Tout est possible, d’une manière ou d’une autre. Nous sommes confrontés à de multiples énigmes que ni les vivants, ni les morts, ne peuvent élucider.... | AAA |