Le Soleil des independances

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 LE SOLEIL DES INDÉPENDANCES 
Ahmadou Kourouma



RÉSUME

Depuis l'ère des indépendances, la République de la Côte des Ebènes est en proie à de profonds bouleversements.

Fama, prince déchu de la lignée des Doumbouya, respecte malgré tout la tradition des Anciens.

Il organise les processions funéraires et prie Allah pour que sa femme, la belle Salimata, lui donne enfin un enfant...



MORCEAUX CHOISIS

" Les soleils des Indépendances s'étaient annoncés comme un orage lointain et dès les premiers vents Fama s'était débarrassé de tout : négoces, amitiés, femmes pour user les nuits, les jours, l'argent et la colère à injurier la France, le père, la mère de la France. Il avait à venger cinquante ans de domination et une spoliation. Cette période d'agitation a été appelée les soleils de la politique. Comme une nuée de sauterelles les Indépendances tombèrent sur l'Afrique à la suite des soleils de la politique. Fama avait comme le petit rat du marigot creusé le trou pour le serpent avaleur de rats, ses efforts étaient devenus la cause de sa perte car comme la feuille avec laquelle on a fini de se torcher, les Indépendances une fois acquises, Fama fut oublié et jeté aux mouches.

" Il y avait une semaine qu'avait fini dans la capitale Koné Ibrahima, de race malinké, ou disons-le en malinké : il n'avait pas soutenu un petit rhume...
Comme tout Malinké, quand la vie s'échappa de ses restes, son ombre se leva, graillonna, s'habilla et partit pour le lointain pays malinké natal pour y faire éclater la funeste nouvelle des obsèques. Sur des pistes perdues au plein de la brousse inhabitée, deux colporteurs malinké ont rencontré l'ombre et l'ont reconnue. L'ombre marchait vite et n'a pas salué.

" Pourquoi les Malinkés fêtent-ils les funérailles du quarantième jour d'un enterré ? Parce que quarante jours exactement après la sépulture les morts reçoivent l’arrivant mais ne lui cèdent une place et des bras hospitaliers que s'ils sont tous ivres de sang. Donc rien ne peut-être plus bénéfique pour le partant que de tuer, de beaucoup tuer à l'occasion du quarantième jour. Avant les soleils de Indépendances et les soleils des colonisations, le quarantième jour d'un grand Malinké faisait déferler des marigots de sang. Mais maintenant avec le parti unique, l'indépendance, le manque, les famines et les épidémies, aux funérailles des plus grands enterrés on tue au mieux un bouc. Et quelle sorte de bouc ? Très souvent un bouc famélique gouttant moins de sang qu'une carpe. Et quelle qualité de sang ? Du sang aussi pauvre que les menstrues d'une vieille fille sèche. C'était pour ces raisons que Balla aimait affirmer que tous les morts des soleils des Indépendances vivaient au serré dans l'au-delà pour avoir été tous mal accueillis par leurs devanciers.

" Mais alors, qu'apportèrent les Indépendances à Fama ? Rien que la carte d’identité nationale et celle du parti unique. Elles sont les morceaux du pauvre dans le partage et ont la sécheresse et la dureté de la chair du taureau. Il peut tirer dessus avec les canines d'un molosse affamé, rien à en tirer, rien à sucer, c'est du nerf, ça ne se mâche pas. Alors comme il ne peut pas repartir à la terre parce que trop âgé (le sol du Horodougou est dur et ne se laisse tourner que par des bras solides et des reins souples), il ne lui reste qu'à attendre la poignée de riz de la providence d'Allah en priant le Bienfaiteur miséricordieux, parce que tant qu'Allah résidera dans le firmament, même tous conjurés, tous les fils d'esclaves, le parti unique, le chef unique, jamais ils ne réussiront à faire crever Fama de faim.

" Et le matin d'harmattan comme toute mère commençait d'accoucher très péniblement l'énorme soleil d'harmattan. Vraiment péniblement, et cela à cause des fétiches de Balla. Le féticheur jurait que le soleil ne brillait pas sur le village tant que ses fétiches restaient exposés. Comme le matin il se réveillait tard, il les sortait tous pour leur tuer le coq rouge. Donc pendant un lourd moment le soleil gêné s’empêtrait et s'embrouillait dans un fatras de brouillard, de fumée et de nuages. Les fétiches de Balla rengainés, entrés et enfermés, le soleil réussissait à se libérer, alors qu'il était au sommet du manguier du cimetière. D'un coup il éclatait. Et après le soleil éclatant et libéré, comme les poussins après la mère poule suivaient tous les enfants de l'harmattan : les tourbillons, les lointains feux de brousse, le ciel profond et bleu, le vol des charognards, la soif, évidemment la chaleur ; tous, tous les enfants de l'harmattan.



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Ahmadou Kourouma, né le 24 novembre 1927 à Boundiali en Côte d'Ivoire et mort le 11 décembre 2003 à Lyon en France, est un écrivain ivoirien.