MEMOIRES DE PORC-EPIC
Alain Mabanckou
RÉSUMÉ
Malheur aux villageois qui se
retrouvent sur la route de Kibandi, car son ami porc-épic est prêt à
tout pour satisfaire la folie sanguinaire de son "maître"!
Avec brio et malice, Alain Mabanckou renouvelle les formes traditionnelles du conte africain, pour nous offrir un récit truculent et picaresque où l'on retrouve l'art de l'ironie et la verve inventive qui en font l'une des voix majeures de la littérature francophone actuelle.
MORCEAUX CHOISIS
" mon cher Baobab, je suis assis à ton pied, je te parle, je te parle
encore même si je suis certain que tu ne me répondras pas, or la parole,
me semble-t-il, délivre de la peur de la mort, et si elle pouvait aussi
m'aider à la repousser, à lui échapper, je serais alors le porc-épic le
plus heureux du monde
...
"car, mon cher Baobab, ces hommes qui vont en Europe, nom d’un porc-épic, deviennent si bornés qu’ils estiment que les histoires de doubles n’existent que dans les romans africains, et ça les amuse plutôt que de les inciter à la réflexion, ils préfèrent raisonner sous la protection de la science des blancs, et ils ont appris des raisonnements qui leur font dire que chaque phénomène a une explication scientifique .... " Je n'ai pas demandé à survivre, comme d'ailleurs je ne demanderai pas à mourir, je me contente de respirer, de voir ce que je pourrais faire d'utile dans le futur, j'ai pour cela deux pistes que j'aimerais suivre, d'abord je voudrais mener une bataille sans merci contre les doubles nuisibles de cette contrée, je sais que c'est un grand combat, mais je voudrais les traquer les uns après les autres, une manière de me racheter, d'effacer ma part de responsabilité quant aux malheurs qui ont endeuillé ce village et beaucoup d'autres, la deuxième piste à laquelle je songe est simple, mon cher Baobab, je voudrais retourner vivre dans notre ancien territoire parce que la fréquentation des hommes a créé en moi le sentiment de la nostalgie, un sentiment que je qualifierais de mal du territoire, eux parleraient de mal du pays, je tiens désormais à mes souvenirs comme l'éléphant tient à ses défenses, ce sont ces images lointaines, ces ombres disparues, ces bruits éloignés qui m'empêchent de commettre l'irréparable, oui, l'irréparable, j'y pense aussi, me donner la mort, mais c'est la pire des lâchetés, de même que les êtres humains estiment que leur existence vient d'un être suprême, j'ai fini par le croire à mon tour depuis vendredi dernier, et si j'existe encore, nom d'un porc-épic, c'est parce qu'une volonté au-dessus de moi l'a décidé, or s'il en a été décidé ainsi, c'est que je dois forcément avoir une dernière minute à remplir ici-bas ... "La brise s'élève à présent,tes feuilles me tombent dessus,c'est une sensation agréable, ces petits détails me permettent désormais d'apprécier l'allégresse de vivre,et lorsque je regarde vers le ciel je me dis que tu as une sacrée chance, toi,de vivre dans un lieu paradisiaque, tout est vert ici,tu es au-dessus d'une colline ,tu domines le voisinage, les arbres alentour se prosternent tandis que tu contemples les humeurs du ciel avec l'indifference de celui qui a tout vu durant son existence ... | AAA |