L'ENFANT NOIR
Camara Laye
Camara Laye
RÉSUMÉ
« A la nuit tombante, mon oncle Lansana rentrait des
champs. Il m’accueillait à sa manière, qui était timide. Il parlait peu. A
travailler dans les champs à la longueur de la journée, on devient facilement
silencieux; on remue toutes sortes de pensées, on en fait le tour et
interminablement on recommence, car les pensées ne se laissent jamais tout à fait
pénétrer; ce mutisme des choses, des raisons profondes des choses, conduit au
silence; mais il suffit que ces choses aient été évoquées et leur
impénétrabilité reconnue, il en demeure un reflet dans les yeux: le regard de
mon oncle Lansana était singulièrement perçant, lorsqu’il se posait; de fait,
il se posait peu: il demeurait tout fixé sur ce rêve intérieur poursuivi sans
fin sans les champs.
« C'est cette année-là, cette première année-là puisque
la précédente ne comptait plus, que je nouai amitié avec Marie.
Quand il m'arrive de penser à cette amitié, et j'y pense souvent, j'y rêve souvent - j'y rêve toujours ! -, il me semble qu'il n'y eu rien, dans le cours de ces années, qui la surpassât, rien, dans ces année d'exil, qui me tint le coeur plus au chaud. Et ce n'était pas, je l'ai dit, que je manquais d'affection ; mes tantes, mes oncles me portèrent alors une entière affection ; mais j'étais dans cet âge où le coeur n'est satisfait qu'il n'ait trouvé un objet à chérir et ou il ne tolère de l'inventer qu'en l'absence de toute contrainte, hormis la sienne, plus puissante, plus impérieuse que toutes. Mais n'est-on pas toujours un peu dans cet âge, n'est-on pas toujours un peu dévoré par cette fringale? Oui, a-t-on jamais le coeur vraiment paisi
« Ma mère était née immédiatemment après mes oncles
jumeaux de Tindican.
Or on dit des jumeaux qu'ils naissent plus subtils que les
autres enfants et quasiment sorciers; et quant à l'enfant qui les suit et qui
reçoit le nom de « sayon », c'est-à-dire de « puinè des jumeaux »,
il est, lui aussi, doué du don de sorcellerie; et même on le tient pour plus
redoutable encore, pour plus mystérieux encore que les jumeaux, auprès desquels
il joue un rôle fort important : ainsi s'il arrive aux jumeaux de ne pas
s'accorder, c'est a son autorité qu'on recourra pour les départager; au vrai,
on lui attribue une sagesse suppérieure à celle des jumeaux, un rang supérieur;
et il en va de soi que ses interventions sont toujours, sont forcément
délicates.
C'est notre coutume que les jumeaux doivent s'accorder sur tout et qu'ils ont
droit à une égalité plus stricte que les autres enfants : on ne donne rien à
l'un qu'il ne faille obligatoirement et aussitôt donner à l'autre. C'est une
obligation qu'il est préférable de ne pas prendre à la lègère : y
contrevient-on, les jumeaux ressentent également l'injure, réglent la chose
entre eux et, le cas échéant, jettent un sort sur qui leur a manqué.
S'élève-t-il entre eux quelque contestation - l'un, par exemple, a-t-il formé
projet que l'autre juge insencé - ils en appellent à leur puiné et se range
docilement à sa décision.
| Camara Laye, né le 1ᵉʳ janvier 1928 à Kouroussa, un village de Haute-Guinée, et mort le 4 février 1980 à Dakar, est un écrivain guinéen d'expression française |