UNE SI LONGUE LETTRE
Mariama Ba
RÉSUMÉ
Une si longue lettre est une oeuvre majeure, pour ce qu'elle
dit de la condition des femmes.
Au coeur de ce roman, la lettre que Ramatoulaye, adresse à sa meilleure amie, pendant la réclusion
traditionnelle qui suit son veuvage.
Elle y évoque leurs souvenirs heureux d'étudiantes impatientes de changer le
monde, et cet espoir suscité par les Indépendances.
Mais elle rappelle aussi
les mariages forcés, l'absence de droit des femmes.
Et tandis que sa
belle-famille vient prestement reprendre les affaires du défunt, Ramatoulaye
évoque alors avec douleur le jour où son mari prit une seconde épouse, plus
jeune, ruinant vingt-cinq années de vie commune et d'amour.
La Sénégalaise Mariana Bâ est la première romancière africaine à décrire avec une
telle lumière la place faite aux femmes dans sa société.
AAAA
MORCEAUX CHOISIS
- « Pour vaincre ma rancoeur, je pense à la destinée
humaine. Chaque vie recèle une parcelle d'héroïsme, un héroïsme obscur fait
d'abdications, de renoncements et d'aquiescements, sous le fouet impitoyable de
la fatalité.
-
"Je pense aux aveugles du monde entier qui se meurent dans le noir. Je pense aux
paralytiques du monde entier qui se traînent. Je pense au lépreux du monde
entier que leur mal ampute.
-
"Victimes d'un triste sort que vous n'avez pas choisi, que sont, à côté de vos
lamentations, mes démêlés, motivés cruellement, avec un mort qui n'a plus de
mainmise sur ma destinée ? Justiciers, vous auriez pu, en liguant vos
désespoirs, rendre tremblants ceux que la richesse enivre, ceux que le hasard favorise.
Vous auriez pu, en une horde puissante de sa répugnance et de sa révolte,
cracher le pain que votre faim convoite.
-
"Votre stoïcisme fait de vous non des violents, non des inquiétants, mais de
véritables héros, inconnus de grande histoire, qui ne dérangent jamais l'ordre
établi, malgré votre situation misérable.
-
"Je répète, que sont, à côté de vos tares visibles, les infirmités morales dont
vous n'êtes d'ailleurs pas à l'abri ? En pensant à vous, je rends grâce à Dieu
de mes yeux qui embrassent chaque jour le ciel et la terre. Si la fatigue
morale m'ankylose aujourd'hui, elle désertera demain mon corps. Alors, ma jambe
délivrée me portera lentement et, à nouveau, j'aurai autour de moi l'iode et le
bleu de la mer. Seront miens l'étoile et le nuage blanc. Le souffle du vent
rafraîchira encore mon front. Je m'étendrai, je me retournerai, je vibrerai. Ô
! santé, habite-moi. Ô ! santé...
-
"Mes efforts ne me détournent pas longtemps de ma déception. Je pense au
nourrisson orphelin à peine né. Je pense à l'aveugle qui ne verra jamais le
sourire de son enfant. Je pense au calvaire du manchot... Je pense... Mais mon
découragement persiste, mais ma rancoeur demeure, mais déferlent en moi les
vagues d'une immense tristesse !
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Mariama Bâ, née le 17 avril 1929 et morte le 17 août 1981 à Dakar,
est une femme de lettres sénégalaise. Dans son œuvre, elle a critiqué
les inégalités entre hommes et femmes à cause des traditions africaines.
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