L'ARCHIPEL DU GOULAG
Alexandre Soljénitsyne
RÉSUMÉ
Immense fresque du système concentrationnaire en U.R.S.S. de 1918 à 1956, " L'archipel du goulag " (ce dernier mot est le sigle de l'Administration générale des camps d'internement) fut terminé par Soljénitsyne en 1968. " le c¿ur serré, je me suis abstenu, des années durant, de publier ce livre alors qu'il était déjà prêt : le devoir envers les vivants pesait plus lourd que le devoir envers les morts. Mais à présent que, de toute façon, la sécurité d'Etat s'est emparée de ce livre, il ne me reste plus rien d'autre à faire que de le publier sans délai. " 227 anciens détenus ont aidé Soljénitsyne à édifier ce monument au déporté inconnu qu'est " L'archipel du goulag ". Les deux premières parties, qui composent ce premier volume, décrivent ce que l'auteur appelle " l'industrie pénitentiaire ", toutes les étapes par lesquelles passe le futur déporté : l'arrestation, l'instruction, la torture, la première cellule, les procès, les prisons, etc. - ainsi que le " mouvement perpétuel ", les effroyables conditions de transfert. (Les deux parties suivantes consacrées à la description du système et de la vie concentrationnaires feront l'objet du second volume à paraître prochainement.) " L'archipel du goulag " n'est pas un roman mais, comme l'intitule Soljénitsyne, un essai d'investigation littéraire. La cruauté parfois insoutenable des descriptions, l'extrême exigence de l'auteur vis-à-vis de lui-même et l'implacable rigueur du réquisitoire sont sans cesse tempérées par la compassion, l'humour, le souvenir tantôt attendri, tantôt indigné ; les chapitres autobiographiques alternent avec de vastes aperçus historiques ; des dizaines de destins tragiques revivent aux yeux du lecteur, depuis les plus humbles jusqu'à ceux des hauts dignitaires du pays. La généralisation et la personnalisation, poussée chacune à leur limite extrême, font de " L'archipel du goulag " un des plus grands livres jamais écrits vivant au monde, " notre contemporain capital ".
MORCEAUX CHOISIS
" En août 1918, Vladimir Ilitch [Lénine]...dans un télégramme adressé à Eugénie Bosch, écrivait ce qui suit: "Enfermer les douteux [non pas les « coupables »...] dans un camp de concentration hors de la ville...faire régner une terreur massive et sans merci... » [...] Voilà donc où ...a été trouvé... ce terme de camps de concentration, l'un des termes majeurs du XXe siècle, promis à un si vaste avenir international!...Le mot lui-même s'était déjà employé pendant la Première Guerre mondiale, mais s'agissant de prisonniers de guerre, d'étrangers indésirables. Ici, pour la première fois, il est appliqué aux citoyens du pays lui-même. "Dans la vie des camps, comme au combat, on n'a pas le temps de réfléchir : un emploi de planqué passe à votre portée, vous sautez dessus. Mais les années et les décennies ont passé, nous avons survécu, nos camarades ont péri. Aux pékins étonnés et aux héritiers indifférents nous commençons à entrouvrir le monde de là-bas, un monde qui ne recèle à peu près rien d'humain, et c'est armé des lumières de la conscience humaine que nous devons l'évaluer. Et là, un des principaux problèmes moraux qui se posent est celui des planqués. "L'arrestation! Est-il besoin de dire que c'est une cassure de toute votre vie? La foudre qui s'abat sur vous? Un ébranlement moral insoutenable auquel certains ne peuvent se faire, qui basculent dans la folie? "Et puis, une remise en liberté, qui ne connaît cela ? La chose a été tellement décrite dans la littérature mondiale, tellement montrée au cinéma : que s'ouvrent devant moi les portes de la geôle ! un soleil radieux, une foule en liesse, des parents qui tendent les bras. Mais sous le ciel sans joie de l'Archipel, la libération est maudite, et elle ne fait que vous pousser vers un horizon encore plus sombre. Si l'arrestation est le gel qui saisit brusquement une nappe d'eau, la libération n'est qu'un timide réchauffement entre deux périodes de gel... " Certes, le métier de commissaire-instructeur n'est pas une sinécure : il faut travailler de jour comme de nuit, rester assis pendant des heures et des heures à un bureau, mais enfin, vous n'avez nul besoin de vous casser la tête pour trouver des «preuves» (ça, c'est le travail de l'inculpé : à lui de se torturer les méninges)... |
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